Depuis la révolution, le secteur pétrolier tunisien connaît des revers, tout comme la majorité des secteurs de production d’ailleurs. Les employés et ouvriers dans différents secteurs se sont mis à contester leurs conditions de travail et notamment leurs salaires, en arrêtant la production et réclamant une amélioration immédiate. Les manifestations et les sit-in se multiplient et affectent la production et certaines compagnies pétrolières subissent des déséquilibres de production, au point que certaines ont réfléchi, après 2011, à arrêter tout investissement futur en Tunisie. Mais depuis quelques années, la donne change et la confiance des opérateurs étrangers en ce site semble revenue avec force au point de partir à l’assaut de zones inexplorées.
La Tunisie dispose de ressources pétrolières très modestes en comparaison à ses voisins, elle essaye de les exploiter au maximum, afin de réduire les dépenses liées à la compensation des hydrocarbures. Et même si le secteur contribue à la création d’un bon nombre de postes d’emploi et permet la mise en place d’activités à plus forte valeur ajoutée, n’empêche qu’il fait face à plusieurs défis, notamment ceux relatifs au raffinage, à la distribution et à l’approvisionnement. Depuis la révolution, les manifestations et les sit-in se multiplient et affectent la production et certaines compagnies pétrolières subissent des déséquilibres de production. Mais pour Mohamed Ali Khelil, le Pdg de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap), 2019 est « l’année de la reprise ». Malgré les difficultés, les investissements dans le pétrolier se maintiennent. Et les entreprises du secteur continuent d’investir, tout en suivant de près le potentiel à long terme du pays.
La confiance reprend
Le 28 juin 2019, six permis d’exploration et de prospection ont été octroyés, et d’autres vont suivre d’ici quelques mois. Les nouveaux permis ont été accordés à trois compagnies (norvégienne, britannique et américaine) et couvrent les régions du nord, du centre et du sud. La société norvégienne « Panoceanic Energy Limited » a bénéficié de trois permis d’exploration, à savoir « Meteline », « Teskraya » et « Kef Abed » dans la région de Bizerte. La compagnie américaine « Hunt Overseas Oil » a reçu deux permis d’exploration baptisés « Hezoua » et « Waha » dans les régions de Tozeur et Kébili. Une troisième société, en l’occurrence la compagnie britannique « Upland » Ressources Limited, a pu avoir son permis de prospection dit « Saouaf » dans le centre du pays. Le coût de ces travaux de prospection est évalué à 42,2 millions de dinars, soit 13 millions de dollars. Ce montant pourrait atteindre 131,5 millions de dollars, l’équivalent de 427,3 millions de dinars, en cas de transformations ultérieures en permis de recherche.
Obtenues en six mois à peine, ces nouvelles concessions représentent une augmentation de près d’un tiers des 21 permis en activité en 2018 ( la Tunisie a connu une baisse des permis de prospection, ils ont été 52 permis en 2010). Autre chiffre significatif : les investissements dans le domaine de l’exploration sont passés de 72 millions de dollars, en 2018, à 254 millions, en 2019. Le pays profite de deux ans d’accalmie sur le front social. La production de pétrole dans le sud du pays, où se trouvent les principaux sites, avait été totalement bloquée à plusieurs reprises depuis 2017.
Actuellement, le nombre total des permis d’exploration pétrolière en cours de validité en Tunisie a atteint 25 à la fin de février 2020, dont 17 permis de recherche et 8 permis de prospection couvrant une superficie totale de 86.451 km2. Le nombre total de concessions est de 56 dont 41 en production. A travers l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap), l’Etat tunisien participe à 32 de ces concessions en production et à trois d’une façon directe.
Les opérateurs étrangers ne s’y aventuraient pas par hasard. Leur confiance en ce site semble donc revenue avec force au point de partir à l’assaut de zones inexplorées. C’est le cas du norvégien « Panoceanic Energy Limited », qui part dans le nord du pays. Depuis 2015 et la découverte au large de l’Égypte du gisement de « Zohr », la Méditerranée est devenue un eldorado à prospecter.
On n’arrête pas de dire, selon plusieurs sources, que la Tunisie est une région sous-explorée. Cela se confirme lorsqu’on regarde de près la politique de l’Etap qui vise à valoriser et à mettre à niveau ses données géologiques. « Nous cherchons à promouvoir et à vendre nos sites davantage à l’international par le biais des chambres de commerce mixtes, notamment vers l’Asie, où sont les nouveaux marchés », assure le PDG de l’Etap. Pour lui, les sociétés déjà présentes ne sont pas en reste. Cet intérêt que portent les investisseurs étrangers fait démentir ceux qui prédisaient un départ des sociétés étrangères après l’amendement du Code des hydrocarbures, en 2017, qui exige le vote du Parlement pour l’obtention des permis. Selon plusieurs sources, « la Tunisie n’a jamais connu une telle frénésie d’exploration depuis les années 1970, époque où les géants de l’exploitation pétrolière étaient sur place et avant d’estimer qu’il n’y avait plus rien à découvrir ».
Avis de la classe politique
Le débat sur le pétrole et la gouvernance des ressources énergétiques, pétrolières et gazières en Tunisie avait fait couler beaucoup d’encre et a été à l’origine de multiples tensions, notamment au niveau de la sphère politique.
Des responsables au sein de l’institut de gouvernance des ressources naturelles (Nrgi), en l’occurrence, Carole Nakhle, directrice fondatrice de Crystol Energy et membre du conseil d’administration de Nrgi, Thomas Lassourd, analyste économique senior chez Nrgi et Wissem Heni, responsable pays de Nrgi, en Tunisie, ont rédigé, il y a environ une année de cela (novembre 2019), un rapport qui analyse les grandes lignes du secteur pétrolier tunisien. Ce même rapport met en lumière les défis relatifs à l’investissement dans le secteur pétrolier. Il représente, également, une évaluation objective et pédagogique de la fiscalité pétrolière tunisienne, faisant abstraction des institutions en charge de la gouvernance du secteur. Les chercheurs estiment qu’« une partie de la classe politique tunisienne considère que le cadre juridique actuel régissant le pétrole et le gaz n’est pas dans l’intérêt national et appelle même à de profondes réformes, jusqu’à la nationalisation complète du secteur pour certains ».
Les débats parlementaires ont été bien alimentés par cette problématique et les propositions de réforme changent selon les positions idéologiques et les programmes électoraux, mais au final, elles convergent toutes vers un seul constat : «Le secteur est en crise, et le prochain gouvernement devra introduire des réformes importantes pour dépasser cette situation ». Cette analyse donne un certain nombre de constats sur le secteur énergétique tunisien. « Les hydrocarbures représentent près de 90% de la consommation énergétique tunisienne et cette consommation ne cesse de croître. Les investissements dans le secteur n’ont pas permis de maintenir le niveau de réserves et de production d’hydrocarbures et le potentiel de développement des énergies renouvelables reste encore largement inexploité ».
Selon l’analyse : « Le pays souffre d’une image d’instabilité auprès des investisseurs, et ne dispose pas du potentiel géologique de ses voisins libyens et algériens. Néanmoins, le nouveau paysage politique, combiné à une reprise sélective de l’investissement mondial dans les hydrocarbures, offre une opportunité de reprise. Avec la révision annoncée du code des hydrocarbures, le moment pourrait être idéal pour s’assurer que la fiscalité pétrolière réponde aux objectifs de politique énergétique de l’Etat tunisien ».
Par ailleurs, le rapport de Nrgi détaille les forces et les faiblesses de la fiscalité tunisienne actuellement en vigueur, en particulier en ce qui concerne les contrats de partage de production. Il s’appuie sur une analyse quantitative de la fiscalité tunisienne et de 8 autres juridictions pour dégager une série de constats.
Solutions pour remédier au déficit énergétique croissant
Tout d’abord, « la fiscalité pétrolière, telle que définie dans le code des hydrocarbures, est peu attractive au regard de la situation géologique de la Tunisie ». Le constat a été dégagé en se basant sur le « taux effectif moyen d’imposition », impact de l’ensemble du régime fiscal sur la durée de vie d’un projet pétrolier, un indicateur de compétitivité fiscale couramment utilisé dans le secteur.
Autre constat, « les contrats de partage de production ne sont pas uniformisés et contiennent des termes fiscaux qui diffèrent d’un projet à l’autre. Ceux qui sont compétitifs ne sont pas suffisamment progressifs pour tenir compte des aléas du secteur ».
Dans le but de relancer l’exploration et la production d’hydrocarbures et pour répondre rapidement au déficit énergétique croissant, le rapport suggère certaines recommandations aux autorités tunisiennes. La première concerne « l’harmonisation de la fiscalité applicable aux nouveaux projets pétroliers, pour mettre les investisseurs sur un pied d’égalité et faciliter le suivi des projets par les instances de contrôle ». Cette même analyse propose de revoir les termes des nouveaux contrats de partage de production pour les rendre plus progressifs. « Par exemple, le contrat type pourrait inclure un plafond plus élevé pour le recouvrement des dépenses de l’entrepreneur et adopter un mécanisme de partage de la production basé sur la profitabilité (facteur R) plutôt que sur la quantité de pétrole produite ».
Nrgi propose, également, de limiter les révisions fiscales « aux nouveaux projets ou aux sociétés désireuses d’adopter les nouvelles dispositions », afin de limiter les disputes et les arbitrages.
Autres réformes de plus long terme ont été aussi proposées par Nrgi pour stabiliser le cadre règlementaire et institutionnel : « Clarifier le rôle de l’ARP dans le contrôle du secteur et améliorer le système d’attribution des titres pétroliers, afin de rendre le secteur pétrolier tunisien plus attractif ».